François Bayrou : "Je veux rassurer et apaiser les tensions"
Dans un entretien au « Figaro », le candidat UDF accuse ses rivaux UMP et PS de « jouer sur la peur » à propos de la nation.
LE FIGARO. - Le thème de l'identité nationale s'impose dans la campagne. Quelle est votre position ?
François BAYROU. - Dans l'Histoire de France, on n'a jamais cédé
à l'exaltation de la nation, y compris le général de Gaulle. Je ne
participerai pas à cette course-poursuite dans laquelle sont lancés Le
Pen, Royal et Sarkozy.
Êtes-vous d'accord avec Ségolène Royal qui veut que les Français mettent le drapeau tricolore à leur fenêtre le 14 Juillet ?
Jamais en France il n'y a eu cette obsession du drapeau. Cela, c'est la
culture américaine. Ce n'est pas l'État qui doit régir le lien entre le
citoyen et la nation. Quand l'État se mêle de la nation, il y a quelque
chose de pernicieux. C'est comme si on voulait régir les liens que l'on
doit avoir avec sa mère. Chacun honore ou aime sa mère comme il
l'entend, chacun aime sa patrie comme il l'entend. Cela fait partie de
la liberté.
Est-ce choquant de dire qu'il faut chanter La Marseillaise ?
Ce qui est étonnant, c'est d'en faire un événement ! Dans nos meetings, nous chantons La Marseillaise
tous les soirs, avec affection, et sans affectation. Quand on en fait
un argument de communication, il y a quelque chose qui ne va pas.
Pourquoi vous indigner quand Sarkozy propose un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale ?
Quand on met dans la même phrase immigration et identité nationale, on
dit quelque chose de très précis pour exciter l'inquiétude d'une partie
de la population sur le thème « mon identité est menacée ». Jouer sur cette peur, c'est rendre plus difficile l'intégration.
Les Français n'ont-ils pas le sentiment que quelque chose se défait qui touche à la nation ?
La France est plus forte que ces candidats ne le disent. Ce n'est pas
la nation qui est le problème. Mais la nation a des problèmes, chômage,
éducation, culture, exclusion. Traitons ces problèmes qui n'ont jamais
été réglés parce que l'antagonisme UMP-PS perpétuel a empêché même
qu'on les pose. La France, c'est un peuple heureux d'être Français.
Même dans la plus lointaine banlieue, on est heureux d'être Français,
on est républicain, on croit à la devise Liberté, Égalité, Fraternité
et aux valeurs qu'elle porte.
Sur l'immigration, il y a tout de même des inquiétudes qui s'expriment...
Bien sûr, ces mouvements d'inquiétude et même de rejet existent.
Faut-il pour autant les cultiver ? Se servir de ces sentiments dans la
perspective de succès électoraux, c'est éthiquement critiquable et
terriblement dangereux. Une partie de la population, 15 à 20 %, est en
situation de tension forte sur ces sujets. Il y a désormais pléthore de
candidats pour attiser les tensions. Moi je préfère être celui qui
rassure et apaise les tensions pour que les Français avancent ensemble.
Sur ce sujet, que proposez-vous ?
Il faut une action de régulation et de protection des frontières, une
action européenne parce que nous sommes dans le système Schengen. Mais
attention : on ne maîtrisera jamais les déplacements de population si
on ne résout pas les problèmes de pauvreté des pays d'origine.
L'urgence de l'urgence, c'est le développement. Je suis pour la
protection de l'économie africaine, pour une préférence communautaire
africaine et pour un plan Marshall. L'Europe a les moyens d'y
contribuer.
Et le regroupement familial...
Le regroupement familial a été restreint. Beaucoup. A-t-on obtenu les
résultats promis ? Appliquons les lois avant de les changer.
Évaluons-les, ne faisons pas de la communication à travers les lois.
Sarkozy a fait trois lois sur l'immigration. N'aurait-il pas valu en
faire une seule, juste et ferme, bien pensée. Qu'est-ce que ça a
changé ? Y a-t-il beaucoup moins de sans-papiers en France ? Je n'en ai
pas l'impression.
Faut-il régulariser les sans-papiers ?
Il ne faut pas de régularisation massive, automatique. Ce serait un
appel d'air. Je suis pour une politique de régularisation au cas par
cas, réaliste, sérieuse. Pour une politique ferme et compréhensive.
Êtes-vous d'accord avec Benoît XVI qui souhaite une référence aux racines chrétiennes de l'Europe dans les futurs traités ?
Le Pape prend ses responsabilités en tant que pape, et moi,
modestement, en tant que citoyen. Il n'y a pas de référence aux racines
chrétiennes dans la Constitution française, ça n'empêche pas la France
d'être ce qu'elle est dans son histoire. Je pense qu'on ne mélange pas
la religion et la loi. Dans l'ordre de la foi, je suis un catholique
pratiquant et je l'assume. Par ailleurs, il y a l'ordre de la société,
et dans la société, je suis un laïque. Je ne veux pas que la loi traite
de la religion. Je ne mélange pas la foi et la loi. Comme le dit
l'Évangile, il faut « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Vous êtes pour l'adoption par les couples homosexuels et contre le mariage gay. N'est-ce pas paradoxal ?
Soyons compréhensifs et pas réactionnaires. Quand un enfant est élevé
par un couple homosexuel, il n'a de lien juridique qu'avec un seul
parent. Qu'arrive-t-il si ce parent meurt ? Je pense qu'il faut
reconnaître un lien, non pas de filiation, mais d'éducation vis-à-vis
de l'autre parent. C'est possible par le biais de « l'adoption simple »
qu'il faudra peut-être adapter. Et je n'ai pas l'impression de secouer
les piliers de la société en disant cela. Je ne suis pas favorable au
mariage gay, mais plutôt à une union civile qui porte des droits
équivalents, notamment de succession.
Certains économistes sont sceptiques sur l'efficacité de votre proposition de créer deux emplois sans charge pendant cinq ans.
Chaque fois que l'on propose une idée nouvelle, des experts disent que
ça ne sert à rien. Leur logique, c'est de ne jamais rien changer. Osez
dire aux artisans, aux commerçants, aux chefs d'entreprise que ça ne
sert à rien... Vous entendrez leur réponse. C'est une mesure qui pour
des centaines de milliers d'entreprises change tout, et qui s'adresse
pas seulement aux emplois bas de gamme mais à tous les emplois. Cette
mesure sera évaluée au bout de deux ans. On verra qui a raison, des
experts ou de la réalité.
Le droit du travail est-il, selon vous, un frein à l'emploi ?
Le droit du travail, ce doit être l'affaire des partenaires sociaux,
branche par branche. Il ne faut pas une chaussure à pointure unique,
parce que les pieds ne sont pas à taille unique. Le contrat de travail
classique, ce devrait être le CDI avec une période d'essai suffisante,
de l'ordre de deux fois trois mois.
Votre proposition de « small business act » se heurte à l'opposition de la Commission européenne.
Le gouvernement français doit se battre pour ce dispositif, qui existe
aux États-Unis depuis cinquante-quatre ans. L'Europe ne doit pas se
résumer au culte de la concurrence.
Faut-il aller au bout de la fusion Suez-Gaz de France ?
Je ne suis pas pour la privatisation de Gaz de France. Quand on voit,
en Espagne, l'immense combat autour de l'énergie, avec les risques qui
existent dans le secteur du gaz, on voit bien que c'est un secteur où
l'État n'a pas à replier son drapeau. À l'origine, j'étais favorable à
un rapprochement avec EDF. Mais aujourd'hui, il y a beaucoup de
réticences dans les deux entreprises. Est-ce encore possible ?
Êtes-vous favorable au projet EPR, le réacteur nucléaire de troisième génération ?
Le débat n'a pas eu lieu comme il aurait dû. Cela mérite qu'on regarde
si l'EPR est un vrai progrès ou pas. Il faudra conduire le débat à son
terme sans tarder.
Faut-il interdire les OGM ?
Je suis pour un moratoire. Ce qui est frappant, c'est l'absence de
parole scientifique sur cette question qui mérite un grand débat. Il
faut se tourner vers l'Académie des sciences, vers des experts
pharmacologiques, pour que l'Assemblée puisse s'exprimer.